– Vous forcez trop !
Je suis surpris, non par ses propos, mais par son vouvoiement. Après les avances qu’elle m’a faites, je m’attendais à ce qu’elle me tutoie, je pensais pourtant avoir été poli. Tant pis ! Toute la soirée, je continue mes exercices. Je refuse qu’on me voie dans cet état.
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* *
Les cheveux repoussent, ce n’était pas le plus grave, les trois petites cicatrices ne me démangeront pas bien longtemps. Mais c’est surtout ma mémoire qui me fait défaut. Oh ! Je vous rassure, je vous épargne le cliché de l’amnésie. Je me souviens de tout depuis mon retour de Kabbale : mon rendez-vous manqué avec Vesta, le voyage à Paris, les retrouvailles avec Kaylee, le vol de retour et la chute. Je me souviens même de cet interlude avec Kaisa. De mon passé, je n’ai rien oublié, non plus. * *
Mais depuis le dernier baiser échangé avec Kaylee, c’est le trou noir. Pourtant, d’après le tableau au pied de mon lit médicalisé, je suis hospitalisé depuis 15 jours. Mes seuls souvenirs sont les avances de la doctoresse et cette machine de torture pour faire travailler ma hanche et recouvrer ma mobilité.
Je finis de m’essuyer et sors de la salle de bain, pour relire ce tableau. À peine suis-je dans la chambre qu’une infirmière entre. Elle me détaille des pieds à la tête.
— Bonjour Mademoiselle, disais-je en espérant une explication quant à ce regard.
— Tu ne te souviens de rien encore ? Elle soupire et répète un discours. C’est lié à ton traitement. Ne t’inquiète pas, cela devrait durer encore un jour ou deux. Je vais faire vite, car je dois voir d’autres patients et je vais surtout devoir répéter cela tout à l’heure.
Je m’assois sur le bord du lit et elle me tend des gélules, mais me fais signe de ne pas les avaler de suite.
— Tu as fait une mauvaise chute, les secours t’emmenaient à l’hôpital, même l’ambulancière avait baissé les bras. Quand on a trouvé ton identité, ton corps a été ramené à l’Atrium Vestae. Réanimation, commotion cérébrale, comas de trois jours prolongé artificiellement quarante-huit heures supplémentaires, parce que, vous, les humains, ne supportez pas la douleur. Tu es conscient depuis quinze jours. On te donne un traitement. Effet positif : tu régénères plus rapidement. Effet négatif : gros trouble de la mémoire à chaque prise médicamenteuse.
Elle se lève et me laisse le choix de prendre le traitement ou non. Avant de sortir, elle se retourne et me jette un coup d’œil :
— Tu ne te souviens vraiment de rien ? lance la Nephilim vestale, un sourire sarcastique aux lèvres.
Je bois un verre d’eau pour avaler le comprimé et dix minutes plus tard, je n’ai plus aucun souvenir, je cesse de me demander si elle me charriait ou si elle s’était vraiment ressourcée en Orgone auprès de moi.
*
* *
— Bonjour Mademoiselle, disais-je sous le poids de son regard interrogateur.* *
— Tu ne te souviens de rien encore ? Elle soupire et commence à répéter le même discours. C’est lié à ton traitement…
— Si si je me souviens parfaitement, je l’interromps et lui tends le dernier comprimé. Mais vous ne m’avez pas dit votre nom.
Elle rit.
— Peu importe. Appelle-moi Sue ! Elle reprend le comprimé et le place avec précaution dans une boite hermétique. Parfait, ça tombe bien que tu interrompes le traitement, tu as reçu une lettre et il y a une femme qui demande à te voir à l’accueil.
Elle procède à un examen de ma hanche.
— Bien ! La prochaine fois, prend un parachute, Kurt.
Elle me tend une enveloppe en papier kraft. Dessus mon prénom, marqué au marqueur noir. Kurt. Et au dos, je retrouve le nom de l’expéditeur : Elsee Christensen. Je décachète l’enveloppe et commence à lire, ce qui ressemble à un document administratif.
— Oh bah merde !
— Qu’est-ce qu’il se passe ? me demande l’infirmière en prenant ma tension.
— C’est mon certificat de décès.
— Ah oui ! Tu es mort, il y a vingt jours. 23 h 59. On t’a réanimé le lendemain.
— Le lendemain ?
— T’inquiète, il était minuit quatre.
Cette infirmière possède un sens de l’humour plutôt douteux. Elle ouvre alors sa blouse et me dévoile une charmante poitrine emprisonnée dans un magnifique soutien-gorge bleu ciel.
— Euh, vous faites quoi, là ? demandais-je convaincu qu’elle voulait de l’Orgone
— Nous avons fait un pari et tu as gagné.
Je la regarde, surpris par sa réponse. Elle reboutonne sa blouse et se dirige vers la sortie.
— Vous auriez pu vous abstenir, je l’avais oublié.
— Je sais. Mais à Vegas, il faut toujours honorer un pari.
— Et sur quoi portait ce pari ?
Malheureusement, la porte se referme et je me retrouve seul dans la chambre sans réponse. Je me lève et retourne à la salle de bain. Mes cheveux repoussent après avoir été rasés avant l’opération. Ma jambe me fait mal, mais je ne boite presque plus. J’ai pas mal de cicatrices dans le dos, un hématome à l’épaule et mon arcade jaune témoigne d’un coquard commençant à disparaitre. Serais-je tombé pendant les séances de kiné ?
Je fouille la chambre et trouve des vêtements : un jean à ma taille, une chemise blanche, une ceinture, aucun sous-vêtement. Tant pis, je me déshabille et suis content de constater la présence de mon service trois-pièces. J’enfile le pantalon à même la peau, boutonne les boutons de ma chemise et boucle la ceinture.
J’ai besoin de sortir. J’allais me diriger vers l’accueil quand la porte de la chambre s’ouvre sur ma visiteuse.