Une pluie de confettis. [Enki]

Ville jouxtant Las Vegas, Henderson City abrite les quartiers des cadres supérieurs. Les maison à la Desesperate Housewife se succèdent les unes aux autres. Mais attention, toute la ville n'est pas sous la protection du dôme.
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Helle Larsen

Helle Larsen

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Helle Larsen

» 30 janv. 2018, 15:11

La veille. 31 octobre 2017.

Halloween et son lot de connerie. Ses monstres. Ses farces. Ses sucreries... et tous ses enfants qui viennent frapper à la porte pour chercher leur butin dans ses déguisements grossiers... Honnêtement, ça me fatigue. Mais c'est la tradition, n'est-ce pas ? Elle est de celle qu'on honore bien qu'elle reste éteinte sur certain continent. Mais pas dans mon quartier Bourgeois où les mioches, traités comme des privilégiés, réclament leur dose de sucre annuelle jusqu'à tard le soir. Etais-je comme eux gamine ? A traîner mes parents dans cette chasse au trésor stupide ? Je ne m'en souviens pas et ce n'est pas une obligation de me rafraîchir la mémoire. Je m'en contrefiche. A présent je suis de l'autre côté de la porte, à l'ouvrir presque toutes les dix minutes. Le visage blasé et les bras chargés de ce saladier énorme que pappa sort juste pour cette soirée, 'le précieux'. Tout cela me gonfle d'ennui.
Pourtant je suis la première à m'inquiéter de ne pas avoir assez de friandises pour satisfaire tous ces petits monstres...

_Et les heures de servitude sont sans fin.

Tu ne dois pas comprendre mon silence.
Je ne te l'ai pas souhaité.
Ma langue emprisonnée dans une promesse muette pour ne rien dévoiler.
Ne rien briser.
C'est une journée spéciale pour toi...
Ton anniversaire...
Mais quel âge as-tu derrière ce visage intemporel ?
Je ne sais pas si je veux connaître la réponse.
Elle me fait peur plus qu'elle me presse.
Je te regarde souvent. Me surprend à t'admirer dans ton sommeil.
Je rêve de pouvoir te toucher autrement qu'en simple... Helle.
Mon utopie. Mon mirage.
Pardonne-moi encore si tu t'endors dans mon ignorance volontaire.
Je me rattraperais...
Demain est un autre jour, celui d'une fête..


##

1er novembre. 2017.

J'ai pris ma journée.
Une première depuis un moment. J'en suis la première étonnée. Une journée qui n'agite rien est une journée stérile à mes yeux. J'ai bien l'idée de changer d'optique, de prendre l'exit ma main dans la sienne mais les moyens me manquent. Je chasse rapidement cette morosité qui me gagne.

Je suis de bonne humeur.
J'ai caché dans mon dos mon envie de faire plaisir. Depuis hier, les mots me rongent. Tu dois me détester... J'ai dû me faire violence pour ne pas cracher le morceau. Finalement, l'intervention des enfants fut mon allié. Et aujourd'hui ? J'essaie de ne pas paraître trop enjouée lorsque nous partageons notre petit déjeuné. Ni d'être trop pressante de le voir partir au travail. Parce qu'il me faut du temps. « N'oublie pas de m'envoyer un message dès que tu as terminé tes consultations. » Que je lui lance, la bouille innocente tout en lui adressant un petit signe de la main au-dessus de ma tête. Je ressens cette excitation naissante qui chatouille tout mon être. C'est piquant. C'est agréable.
Et la porte claque aussitôt.

La matinée fut pigmentée en diverses tâches. J'ai dû courir à travers la ville, cherchant les cadeaux que j'avais en tête. C'est le coffre chargé de mes achats que je me dirige vers le manoir. J'ai une montagne de sac dans les bras. Des boites empilées dans une tour branlante qui menace de s'effondrer à chaque pas avancé. C'est à peine si je salue notre vieille voisine, Madame Richardes. « On a fait des folies ! » Sa voix stridente me fait saigner des oreilles. Oh... Elle essaie d'établir le contact pour une conversation qui sera sans fin si je ne mets pas le 'oh-la' de suite. Je cherche désespérément les clés dans ma fichue poche arrière de mon Levis en prenant la liberté de l'ignorer. Je ne répond pas. Pas de rage en surface. Je contiens mon agacement naissant. « Je vous aide ? » Je la sens venir dans mon dos. Non non non. Je n'ai pas le temps. Et je sens qu'elle glisse ses doigts dans ma propre poche. J'écarquille les yeux en tentant de lui jeter un regard noir par-dessus mon épaule, mais l'entreprise est trop risquée... Ma tour de Pise tangue dangereusement. Je sers des fesses au sens propre comme au figuré. « Je les ai! » Elle me pousse doucement sur le côté et prend la liberté d'ouvrir la porte. J'inspire profondément. « C'était pas la peine... » « Taratata ! Une tasse de thé pour me remercier sera suffisant. » Suis-je en train de rêver ou bien elle s'invite ? « Je suis navrée... Mais pas aujourd'hui. Je n'ai pas le temps Madame Richardes. » Que je tente de canaliser derrière un masque stoïque. J'ai juste un volcan en irruption qui se déverse dans mes veines là. « Oh... On prépare une petite fête... Alors je n'insiste pas. » « S'il vous plaît... » « Bonne journée Helle. » Je ne répond pas. La politesse est une vertu que je possède, seulement lorsqu'on joue volontairement avec ma patience, j'ai tendance à l'oublier...

Et la journée se déroula bien trop rapidement à mon goût. Entre la cuisine à préparer, la décoration et les cadeaux à emballer... Je n'ai pas vu les heures défiler. J'en ai oublié de manger mais mon corps n'est pas rancunier. J'ondule des hanches sur une musique qui passe à la radio. Le rythme est entraînant et motivant. Je fini d'accrocher les dernières photos d'Enki au ruban des ballons gonflés à l'hélium. Puis je les dispose au-dessus de la table joliment dressée pour cet anniversaire surprise. Je m'amuse à les regarder se coller au plafond. Leur couleur dorée reflète des nuances orangés sur les murs, rendant la pièce chaleureuse. J'espère que tout lui plaira. Après tout, il est à l'honneur ce soir. La table est dressée pour deux. J'ai soigné les détails... J'avoue avoir fouiné dans mon pinterest pour dénicher quelques idées. Je suis assez satisfaite du résultat. La bouteille de champagne repose dans son seau de glace ; à côté de la pile de cadeaux. Je me recule un peu, le corps fatigué par cette journée marathon. J'ai les cheveux en bordel. Le t-shirt taché par le chocolat, tout comme l'un de mes coudes. A croire que nous nous sommes livrés un combat sans merci. Le vainqueur n'est pas compliqué à deviner. Mes paumes se frottent contre mon levis sale. Je sens le sourire satisfaisant hanter ma bouche.

Comme j'ai hâte que tu me reviennes.

_Et arrive la délivrance.
Je suis tapis dans l'ombre. Une main fermée sur une poignet de confettis. Je retiens mes gloussements. J'ai reçu son message. Il n'est plus très loin à présent. J'ai revêtu une petite robe noire. Une nouvelle pour l'occasion. Je ne suis pas de celle qui passe mon temps à faire les magasins... Mais ce soir est différent. Je veux te plaire. Mes cheveux soyeux et légèrement bouclés descendent en cascade dans mon dos. Un trait de liner à mes yeux et un rose poudré aux lèvres. Le teint est naturel. Rien de bien prononcé mais je ressemble à l'une de ses poupées au visage porcelaine. Beauté pure et froide. Je me crispe en écoutant le bruit familier de son moteur. Mince ! Il arrive. Le stress me paralyse et le doute, vicieux, profite de cette faiblesse pour me tourmenter... Et s'il n'aimait pas les surprises ? S'il détestait ce genre de plan ? S'il avait la sainte horreur des ballons ? Je panique. Ma respiration s'emballe... J'ai envie de fuir ma cachette mais trop tard.. La porte s'ouvre.

Il fait noir. J'entends ses pas. Je retiens mon souffle jusqu'à voir la lumière illuminer la pièce. C'est le signal. J'attrape mon courage qui se barre comme un lâche et sort subitement de ma planque en balançant une pluie de confettis colorée sur la haute silhouette qui se dresse devant moi.

« JOYEUX ANNIVERSAIRE ! »


Que je crie presque d'une voix enjouée. Heureuse de mon effet de surprise... Mais l'excitation, effet ascenseur, laisse place à une appréhension. Je reste devant lui bêtement à attendre une quelconque réaction de sa part. Les poings serrés le long de mon corps. C'est la première fois depuis ma renaissance -et de mémoire que je me sens si minuscule face à Lui. Je le fixe de mes grands yeux banquise...
Dis moi que tu aimes...
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Enki

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Enki

» 26 févr. 2018, 19:26

La veille au soir, 31 octobre 2017

Les Éphémères et leur éternel besoin de jouer avec ce qui les dépassent ou les effraient. Le quartier est rempli de ces têtes blondes, qui s’ignorent parfois encore être d’origine maudite, qui nourrissent encore cette tradition… qui me fait, à ce stade, ni chaud ni froid.
Si elle sait rassembler les âmes autour d’un même dessein, défroisse les traits, ce n’est pas le cas de tout le monde. Cette période me ramène seulement aux origines lointaines et païennes de cet événement. À ces esprits qui refont surface, le Voile s’effritant pendant cette courte phase.

C’est lors d'une de ces nuits que je suis né. Je ne me rappelle plus du visage de ma pauvre mère, ni même des premières années — seulement des bribes, et j’imagine que c’est pour moi déjà assez. Les années qui passent n’ont jamais été dénombrées, fêtées. Ce n’est pas dans ma, notre culture. Aujourd’hui, et dans cette époque moderne, tous s’entendent à ouvrir leur cœur à leur prochain… mais surtout lui rappeler qu’il fait un pas de plus vers son trépas. Le fait est que je n’ai jamais eu besoin qu’on me le rappelle : mon père m’a suffisamment apprit concernant ma fin programmée. Fin que peu des miens accepte d'apercevoir dans le lointain.

Ce n’est que lorsque j’ai connu Silje, qu’un enfant pesait ses bras, que les choses se sont avérées être différentes. Si pour les anniversaires j’avais eu droit à des festivités - qui se sont peu à peu déplumées en simple gestes - il n’en était pas grand-chose pour la nuit de Samhain, qui m’était alors dédiée. Helle en revanche, était bien aise de pouvoir accompagner ses amis pour aller faire le tour du quartier. (Elle a vite abandonné cette activité dès qu'elle a poussé les portes de l'adolescence.) Même si ce soir, elle n’était pas du tout dans ce même mot d’ordre. Je la scrute discrètement par-dessus la tranche de mon livre que je tiens dans ma main droite, la quittant parfois des yeux pour me replonger dans les réflexions de Nietzsche. Ce soir, je n’aurais pas souhaité fêter quoi que ce soit, elle semble d’ailleurs avoir omit ce détail. Volontairement ? Je le saurais très vite. Le temps d’une journée j’imagine, peut-être plus… il est même fort possible qu’elle ait oublié à cause des enfants. Je ne lui en veux pas. Je n’aime pas fêter ce qui n’est pas un événement à mes yeux.

1er novembre 2017

Je viens de sortir de ma dernière consultation. Je n’ai pas pris de pause pendant mon après-midi. La première chose que je fis après avoir passé la sécurité de l’hôpital vestale fut de gonfler mes poumons de cet air frais et vivifiant, les paupières closes. Et de m’en griller une. Non… je ferais ça avant de rentrer, sur le pas de notre porte. J’avais bien trop hâte de rentrer et de me libérer tant le corps que l’esprit. Trop hâte de manger, aussi. J’étais affamé. Je lui envoie un message pour lui dire que je suis libéré, enfin.

Comme à chaque fois que je quitte la blouse - façon de parler, je ne la porte pratiquement jamais par pur caprice - un autre homme se découvre. Celui qu’a toujours connu Helle, celui qu’elle s’essaie à redécouvrir malgré toutes les difficultés qui s’imposent à elle. À nous…
Les envies se greffent à mes divagations au gré des miles que j’engloutis. Je veux dîner, je veux écouter de la musique, non, je veux en jouer, je veux prendre une douche, je veux laisser mon esprit s’éparpiller sans craindre quoi que ce soit, je veux Helle, je veux qu’elle guérisse et se relève, je veux la voir sourire, et je veux…

M’arrêter.

J’arrive sur le pas de la porte, je tire une clope et la grille, première taffe. La meilleure lorsque cela fait plus de cinq heures, non, six, que je n’ai pas pu me l’octroyer. Je me suis assis sur l’une des marches qui grimpe jusqu’à la porte du manoir et m’inscrit dans le moment présent. Je brasse du regard les environs, observant en silence ce quartier qui s’anime pour les retours professionnels de fin de journée, aperçoit l’œil curieux de la vieille Richardes derrière sa fenêtre, que je soutiens quelques instants pour provoquer sa fuite. La voiture de Helle est parquée là, elle devrait être à l’intérieur. Peut-être en train de se doucher elle aussi. Encore une fois, je crois que je l’envie. Une fois la cigarette terminée, elle quitte mes lèvres pour s’écraser contre le cendrier posé près du pied de la rampe en pierre, et à côté du mien aussi accessoirement. Je serais bien resté ici encore quelques minutes. Je décide pourtant de me redresser, de tourner les talons et de sortir mes clés. J’espère qu’elle n’a pas laissé les siennes dans la serrure cette fois-ci…

À peine ai-je poussé la porte que j’entends, sens sa présence dans l’obscurité que je décide d’ignorer pour fermer la voie. Je parais sur mes gardes pendant quelques instants, l’instinct du chasseur - du défenseur - refaisant surface. Du Geist.

Pourtant, lorsque j’allume la lumière, je décide d’enterrer ces vieux réflexes de prédateur pour pivoter dans cette direction où je la devinais.

« JOYEUX ANNIVERSAIRE ! »

Elle n’a pas oublié.

Je ne cherche pas à faire autre chose que de fermer les yeux, brièvement, pour ne pas m’éborgner avec une de ses confettis. Pendant ces quelques petites secondes, mon visage se défroisse dans un sourire. Et lorsque je redresse un peu le nez pour regarder autour de moi, il est toujours présent. (Je prends conscience et réalise ce qui se passe, je m'inscris à nouveau dans le présent, exercice des plus difficiles mais auquel je m'entraîne sans cesse.) Lorsque je la vois dans une si belle robe, mon esprit part en déroute. Elle a fait des efforts sur tous les plans, et je n’ai là qu’un avant goût. Sans me défaire de ma veste, je vais chercher ses bras et sa présence. Une fois encore, je me transforme.

« Merci Galbi, » et réalise que je dois encore être enfumé par la clope. J’ai tout de même déposé un baiser sur son front après m’être détaché un peu d’elle. « Désolé, j’ai fumé avant de rentrer. La deuxième partie du câlin sera pour après, sinon tu vas finir cendrier. » Et je crois deviner qu’elle n’apprécie pas particulièrement cette odeur. Moi non plus à vrai dire, d’où le fait que je n’aie jamais fumé entre ces murs. À nouveau, je regarde autour de moi, sans la lâcher. Enfin ça c’était avant de me perdre de curiosité dans la pièce d’à côté, re-décorée pour l’occasion. Même sa mère n’en a jamais fait autant. De vieux amis sur les routes en revanche…

« Mais… où est-ce que tu es allé chercher toutes ces photos ? », que je demande, le nez presque collé sur l’un des clichés qui pendouillait. Il est clair que je ne suis pas particulièrement friand du ‘j’expose ton visage sur tous les coins du salon’, mais… le choix des photos était pour le moins… intrigant. J’arrive même à rire, au moins jusqu’à ce qu’un des clichés, où je suis aux côtés de Silje, n’apparaisse. « Tu as passé toute la journée à faire tout ça ? C’est dingue… » des mots murmurés qui couvrent cet épieu qui vient s’enfoncer dans mon myocarde. Le voile de la mélancolie griffe mes traits pendant une fraction de seconde, au moins jusqu’à ce que je me décide à me ressaisir. Mes yeux retrouvent ses courbes, remontent à son minois. « Tu es toute en beauté… » glissai-je, un sourire réinvestissant alors mes traits. Je reviens un peu vers elle, aucune ambiguïté dans la voix, ni dans le regard. « J’ai jamais vu cette robe avant ? Elle te va très bien. » avant de lui glisser une main dans les cheveux, seulement pour ramener ces derniers un peu en arrière. Un instant à me dire que le choix de la chanson qui joue en arrière-plan est précisément intelligent — puisqu’affectueux. J'ai oublié de retirer ma veste, pris dans ce moment étrange et d'un autre temps — qu'elle m'offre.

« Je vais peut-être me doucher avant de te rejoindre, tu crois pas ? » plaçai-je un peu au hasard. J’ai encore quelques confettis dans les cheveux et n’en ai pas vraiment conscience. Je crois que je me sentirais mieux après une douche, comme j’imaginais qu’elle puisse préférer autre chose qu’un père-cendrier à ses côtés. Mon regard clair fuit à nouveau pour aller épouser la décoration chaude et familiale. Une pensée s’échappe de mes lèvres… « Tout ça pour moi… » Je crois que je m’habituerai jamais à avoir une place dans le cœur de quelqu'un. D'être important.
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— MEMENTO MORI —

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Helle Larsen

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Helle Larsen

» 28 févr. 2018, 22:45

Et ce tambour qui résonne dans ma tête ne cesse de prendre de l'ampleur. La coupable ? Un rythme cardiaque frôlant l'implosion. Je suis toujours face à lui, les mains devant mon ventre, à me tortiller les doigts. La nervosité me ronge aux grès des secondes qui passent pour finalement filer à l'anglaise dès que mon regard polaire tombe sur ce sourire. Il a le don de me soulager immédiatement et d'effacer mes doutes.

Il aime.

C'est une certitude qui s’amplifie en voyant ses mains se tendre dans ma direction. Je n'attends pas pour me jeter dans ses bras. Une douce étreinte que je savoure en pressant mon corps contre le sien. J'ai le sourire aussi. Et c'est un sourire plein de joie (pour une fois). Ses remerciements me réchauffent le cœur. Tout comme le baiser qu'il pose à mon front. Je crois que je ne m'en lasserais jamais. Il se recule, j'en fais de même en glissant mes paumes sur sa taille habillée encore de sa veste. Veste que je lisse du bout de mes doigts, un geste affectueux. J'en redresse le bout de mon nez dans sa direction. J'entends ses excuses et me surprend à sourire de plus belle, l'air détaché. « Ce n'est pas grave. » Que j'avoue en dandinant de la tête, comme pour appuyer mes propos. Même si l'odeur de cendrier n'est pas celle que je préfère, il est vrai. Mais sa présence écrase le reste, non ? Alors il peut bien sentir la clope, je m'en moque ! deuxième partie de câlin? Oh... celui qui sentira bon le savon ? J'en souris d'avance.

Je remarque que son regard vogue sur les alentours. Je me tends un peu tout en plantant mes dents sur le coin de ma lèvre... Les doutes reviennent à la charge. Et s'il trouvait ça too much ? Il faut dire que je n'ai pas lésiné sur les détails. La décoration m'a prise pas mal de temps. Mais le résultat est là. Mais lui, qu'en pense-t-il ? J'ose pas regarder son visage de peur de le voir déçu. Le mien se détourne légèrement vers la table habillée de fête.

Et la première question tombe.

« J'ai fouiné. » N'est-ce pas mon boulot à la base ? Et j'avoue avoir un certain talent pour dénicher les choses... même les plus perdues dans un coin du grenier. J'hausse mes petites épaules en lui jetant un regard en biais. « Tu es très photogénique tu sais. » Que je rajoute d'une petite voix espiègle. La vérité est là. Il passe bien sur les photos, surtout lorsqu'il a ce sourire rayonnant ou bien son air songeur. Juste magnifique. Tu ne le sais pas, mais j'ai passé plus de temps à te regarder figé sur du papier glacé qu'à faire le reste. Une pensée secrète qui s'échappe dès que je l'entends rire. C'est un soulagement. Ma surprise a l'effet que je souhaitais, lui faire plaisir, tout simplement. En revanche, je remarque le voile de mélancolie qui traverse ses iris dès qu'il regarde un cliché avec ma mère. Mince... Je n'aurais peut-être pas dû raviver ce genre de souvenir. J'espère ne pas plomber la soirée … mais il rebondit, m'arrachant à mon trouble.  « Tu as passé toute la journée à faire tout ça ? C’est dingue… »Ma fierté se gonfle aussitôt. « Oui … enfin, tu sais ce n'est pas grand chose. »(juste un marathon...) Modestie quand tu nous tiens. Mon embarras se lit sur mon sourire beaucoup moins sûr pour le coup. Je n'aime pas me mettre en avant. Tout est dans le but de le surprendre, de lui faire plaisir. Le Roi de ce soir : c'est Toi.

Le silence s'est invité pour quelques -longues secondes. Je ne sais pas si c'est de bonne augure. J'ose revenir à lui et j'accroche son regard limpide.  « Tu es toute en beauté… » Qu'il me lâche comme une petite bombe. Je le fixe, les yeux aussi ronds que des soucoupes. J'ai rapidement le rouge aux joues et cette sensation d'embarras reprend le dessus. Je n'aime pas les compliments. Ils me gênent plus qu'ils me flattent. Ma gorge se racle doucement. « … Il me semble que ce soir est spécial. » C'est soufflé. J'ai la voix comme embrumée. J'avoue que j'ai essayé d'être présentable. Pas de jeans déchiré, ni de nœud dans les cheveux. Je ressemble plus à une femme qu'à une gamine en converse. J'ai même fourré mes pieds dans des escarpins ! Comme quoi, rien n'est perdu. Mais il ne s'arrête pas là, et pointe du doigt ma robe. Par réflexe, je baisse le menton pour y jeter une brève œillade. Est-ce trop pour ce soir ? Je tire nerveusement sur le tissu au niveau de mes cuisses. Et je tente de paraître tout à fait normal en revenant à lui. « Je t'ai dis que ce soir était spécial. Il fallait la robe de circonstance. Et merci, ravie qu'elle te plaise. » Cette fois, j'ai cette petite pointe d'admiration dans les yeux. Le fait qu'il remarque tous mes efforts me font plaisir. Des heures de préparation derrière tout 'ça' et il le souligne. Je crois que je gagne des points. Mon sourire revient, plus tendre que jamais. Je le vois repousser une lourde boucle dans mon dos. D'instinct, ma main à sa taille ressert sa prise.

Non... Non je ne dois pas penser à lui de cette façon

Et tout s’éteint, comme un souffle sur une bougie.
« Je vais peut-être me doucher avant de te rejoindre, tu crois pas ? » J'appuie ma silhouette de tout mon poids contre son corps, remontant ma main dans sa masse de cheveux colorée de confettis. J’ébouriffe le tout en gloussant bêtement, le regard perdu dans ce joli bordel. « Entendu. Fais toi tout beau. » La proximité est grignotée par mon geste. Lorsque je suis près de lui, tout prends une dimension si particulière. Est-ce à cause de cette attraction que dégage les Nephilim ? Ou bien est-ce autre chose... de plus sombre. De plus beau. J'évite de trop me pencher sur la question. Je reste silencieuse. Je le remarque fuir mon regard pour revenir aux décorations et ce qu'il souligne le rend attendrissant. « Oui... Tout ça pour toi. Rien que pour toi. » C'est murmuré sans cesser de l'observer, mon regard va et vient de sa bouche à ses yeux de fauve. Ce n'est pas calculé.
Mes lèvres pressent doucement l'arrête de sa mâchoire pour un baisé chaste. Avant de reculer visage et corps. J'ai bien compris qu'il faut une distance raisonnable pour ne pas tout mélanger. Ambiguïté. Un sourire s'immisce sur mes lèvres, doux et fragile. Et mon cœur s'accélère. Les battements rugissent comme un tambour tribal sous ma poitrine. Le sang circule jusqu’à colorer mes pommettes d’un rose discret. Je me sens... heureuse ?

**

Et les minutes filent, sans toi.
Tu es à l'étage, et moi je suis comme une lionne en cage.
J'essaie de m'occuper les mains, l'esprit ...sans foi.
Mais j'attends que tu me reviennes.
Alors je bouge les chaises... Les replace au même endroit.
Je fais réchauffer le repas à feu doux car c'est notifié dans un encadré, là sur le bas de page.
Je bataille avec le bouchon de cette fichue bouteille qui m'a coûté un bras.
Puis je m'assoie à table, les jambes croisées.
Je les décroise.
J'ai le regard qui se lève vers les escaliers, dans l'espoir de t’apercevoir.
C'est le silence total.
La musique est mon amie de fortune, elle m'accompagne dans cette solitude.
Et le champagne me fait de l'oeil... Non... Je dois t'attendre.
Alors je lève mes fesses pour la … je n'ai pas compté.
J'ai le stress qui grimpe.
Mes doigts redonnent forme à mes boucles. Il manquerait plus que tout retombe et que je ressemble à un cocker en fin de vie...
...Enki...

**

Et j'entends enfin ses pas. Un soulagement.
Je suis vers la table, le nez levé vers les photos qui se remue lentement. Je reste captivée par l'une d'elle, où Enki a l'air absent. Il dégage quelque chose de mystérieux... comme si derrière le bleu de ses yeux se cachaient des vérités. Et pas les plus belles. Ce cliché me fascine. Peut-être qu'un jour, il me parlera de sa vie d'avant... En tant que Nephilim, tout simplement. De ses années sans nous, sans moi. J'ai la vision de mon rêve qui me revient en tête, comme un avertissement. Mon cœur se compresse douloureusement. Je revois tout ce sang... ce rouge autours de nous et son regard... Je crois qu'il a transpercé mon âme.

Je sursaute presque en sentant sa présence dans mon dos. Je me retourne vivement dans une valse de boucles blondes. Mon regard polaire se pose aussitôt sur son visage. Mon sourire renaît timidement. « Tu es là. »
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Enki

Enki

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Enki

» 16 mars 2018, 14:10

C’est d’un naturel attendrissant qu’elle accepte que je disparaisse pour me faire couler une douche, elle débarrasse mes cheveux de quelques confettis que je n’avais pas remarqué avant qu’elle ne daigne les chasser. « Oui… Tout ça pour toi. Rien que pour toi. » qu’elle murmure, alors je vais récupérer son regard clair qui joue à se balader sur mes propres traits. Elle a l’air de se reprendre au baiser qu’elle me dépose-là, sur l’arête de ma mâchoire. Je souris davantage à ce contact qui me plaît autant qu’il ait pu me manquer pendant chaque heure de la journée. Nos corps se distancent un peu, je lui caresse l’arrière du crâne encore quelques petites secondes avant de m’éclipser, les traits toujours figés dans un sourire. Mais une fois que je lui tourne le dos et grimpe les premières marches pour accéder à l’étage, ce dernier se perd dans le néant. Silje. Silje me manque tant.

Je me lave de trop de choses pendant ces quelques minutes — minutes que je fais durer malgré moi, mon flot de pensées me faisant perdre un peu la notion du temps. Quand je réalise que j’ai traîné, que j’imagine Helle seule au rez-de-chaussée, je suis déjà un peu plus pressé dans mon ouvrage. J’enfile un jean et hésite un instant : chemise ou tee-shirt ? Mon premier choix aurait été le plus confortable, il est vrai, mais je me devais d’accompagner un minimum ma fille dans son effort. Alors… si ce soir était si spécial à ses yeux, j’essaierai au moins de lui montrer que je suis d’accord (même s’il n’en était rien). Pour moi, tout était différent lorsqu’elle était auprès de moi. Ce n’est pas un seul soir, à me rappeler que mes années de pseudo-immortalité se prolongent, qui allait raffermir cet état de fait.

Alors je finis par redescendre, le pas rapide mais naturel, presque trop léger. Je me glisse si vite derrière son dos (l’empressement de partager un moment avec elle) que Helle ne me remarque qu’après coup. J’ai déposé mes mains froides sur ses épaules — une douche chaude n’y aurait pas fait grand-chose, j’en ai bien peur. « Un peu que je suis là. » le mensonge de ce lointain soir, où elle avait été bouleversée par un cauchemar, n’avait visiblement pas trouvé de faille jusqu’à maintenant. Bien sûr que j’ai fourché la langue, et non, je ne peux pas me permettre de lui avouer que je lui ai offert un faux pan de sa mémoire. « Tu n’as pas trop attendu ? » que je lui demande, avant d’ajouter. « Si, t’as dû attendre… beaucoup trop. » je ramène une chaise du bout du bras comme si j’avais récupéré une miche de pain, et en soi, son poids me ferait certainement le même effet, si j’avais été Éphémère. Je m’affranchis de l’organisation ou du plan de table, je préfère être à côté d’elle, au plus proche. Je suis même assis de biais, rien n’est aligné, j’ai un pied coincé sous l’articulation de mon genou. « La journée a été longue.… je suis vraiment content de te voir. », soupirai-je, réarmant mes traits d’un sourire doux — je vais chercher l’une de ses mains que j’emprisonne dans l’une des miennes. Et mes yeux trop clairs sont toujours aussi froids de grisaille, presque tristes, absents : mais c’est là quelque chose qui ne me quitte pas, et qui a été malheureusement offert à ma fille aussi depuis son retour. Là sans l’être, c’est quelque chose que nous partageons, sans pouvoir nous en défaire. Je jette un coup d’œil sur la table et aperçois la bouteille de champagne fraîche. Le va et vient visuel entre la bouteille et le visage de Helle est rapide et je m’attarde sur ses traits, à nouveau.

« Oh. Une seule bouteille ? », lui dis-je, taquin. Et poursuis, toujours aussi léger. « Ton vieux père a besoin d’alcool pour survivre. » et vieux, oui, je l’étais. Helle ignorait encore combien d’années je me traînais exactement derrière moi, et peut-être que ce soir, j’allais faire l’affront de le lui révéler. Que pouvait-elle risquer, si ce n’est de faire tomber la mâchoire ? Je tire l’autre main tatouée à l’encre blanche pour aller attraper la bouteille et la ramener à moi. Je la jauge un bref instant. Les effluves provenant de la cuisine me rappellent le cocon que nous avions, du temps où Silje était encore là. Une ambiance des plus familiales dans ces murs qui, pendant des années durant, ont été refroidis par l’absence d’êtres aimés.

Je me dois de lâcher sa main tiédie par mon contact prolongé, pour une fraction de seconde à déboucher la bouteille, marqué par un « poc » caractéristique. La musique qui passe en fond sonore me soulage l’âme, c’est un album que j’affectionne et je suis surpris qu’elle le sache. Ce qu’elle ne sait pas en revanche, c’est que j’ai joué en première partie de ce groupe, il y a de ça bien des années… lorsqu’ils n’étaient pas encore connus. J’attends qu’elle me présente son verre pour le remplir, chose que je fais pour le second qui m’appartenait. Pendant un bref instant, je me fais la réflexion d’ajouter un troisième couvert, voire, un troisième verre — pour ne pas l’oublier, parce que les Anciens savent à quel point les esprits peuvent avoir de leur importance à mes yeux. Les esprits, ceux qui ont alimenté le Puits des Âmes de mes frères et sœurs Révélateurs, les esprits, ceux qui sont d’or et pas de silence. Ces esprits qui nous parlaient, puisque nul autre vivant ne voulait les estimer, ni porter ce fardeau.

Puis j’échange la bouteille contre mon verre, que j’approche du sien, nos regards scellés.

« À mes 294 ans. » Et elle n’aura pas le temps d’assimiler cette information qu’une autre vient la bombarder. Une autre qui est des plus naturelles et sincères. « Et à toutes les années que je souhaite encore passer à tes côtés, quoi qu’il advienne. » Ça me fait mal de songer à ce que nous puissions être séparé de nouveau. Ça me fait mal et fait ressortir l’autre, l’éternel damné, qui ne supporterait plus une énième perte. Sa perte. Je ne peux retenir ces derniers mots, encore figé dans l’instant. « Je t’aime Helle. »
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Helle Larsen

Helle Larsen

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Helle Larsen

» 17 mars 2018, 19:23

Les mots me manquent. Je suis simplement heureuse de le voir. Il ne s'est pas absenté longtemps mais l'attente m'a paru une éternité. Ça serait mentir d'affirmer le contraire. J'ai le sourire qui reprend vit sur cette bouche soulignée d'un rose framboise, pour marquer le coup. Un effort que je ne fais qu'à de rares occasions. Et ce soir en fait parti. Je le considère de mes grands yeux polaires, essayant de ne pas paraître trop pressée. J'en envie de le prendre dans mes bras, de le serrer tout contre moi. Et je reste passive. Comme d'habitude. J'ai du mal à être tactile avec les gens en général. Je ne sais pas si ça a toujours été le cas... Si ça fait réellement partie de moi ou bien que ma mémoire m'envoie sur des fausses pistes. Je n'ai pas encore tout retrouvé de mon passé -de moi, et ce puzzle commence à me tourmenter un peu plus chaque jours. Mais je ne montre rien. Je cache le tout, comme les nombreux secrets dont je n'ai pas encore accès. Enki est une clé... Je le sais.

 « Si, t’as dû attendre… beaucoup trop. » Qu'il continue dans sa lancée, me ramenant progressivement dans notre salle à manger. J'hausse alors légèrement mes épaules aux oreilles d'un air polisson. Je n'en pas envie de lui mentir, mais je n'ai pas envie de lui dire la vérité. Il s'agit que de quelques (longues) minutes et ce n'est pas dramatique. Je l'ai attendu toute la journée. Et je m'en porte à merveille à présent que je l'ai pour moi seule. Parfois je suis égoïste. Est-ce réellement un mal lorsqu'on tient à une personne ? Mon sourire ne fait que de grandir comme pour réponse à ma question muette. Et je le vois qui s'active, ramenant une chaise. Je l'imite et prend place sur l'une d'elle. Nous ne sommes pas en face de nos assiettes respectives. Je m'en contre-fiche. Rien n'est réellement ordonné. Tout comme nos vies au final. J'étouffe ma réflexion en croisant mes jambes sous la table.  «La journée a été longue.… je suis vraiment content de te voir. » La confidence me fait hocher la tête. Il est vrai qu'elle m'a semblé interminable aussi. Il vient chercher ma main. Chose que je ne refuse pas. Un contact. Un simple contact pour me soulager de toute cette pression que j'ai emmagasiné ces longues heures dans la crainte de tout foutre en l'air. Et cela en valait le coup, il aime ma surprise et c'est tout ce qui compte. « Je le suis aussi. » Que je souffle d'une voix que je ne reconnais pas. Ses doigts frais apaisent les miens, bien trop tièdes. L'éphémère que je suis à la fâcheuse tendance à bouillonner trop vite. Je vois son regard aller de la bouteille à moi. Oui, j'ai pris du champagne pour fêter ce nouvel âge. Et j'en suis très fière. D'ailleurs, je relève le menton pour maintenir ce contact visuel, dandinant un peu sur l'assise. J'espère qu'il va l'apprécier... Je n'y connais rien en bulle... en vin...

« Oh. Une seule bouteille ? » La question me surprend et me réchauffe les joues. Je n'ai pas pensé qu'il en faudrait une deuxième ! « Il reste encore le vin. » que je balbutie d'un air désolé. «  Ton vieux père a besoin d’alcool pour survivre. » Je souris en mordillant le coin de ma lèvre. Je comprend qu'il me taquine et ça me soulage. Bien que la question de son âge me reste sur le bout de ma langue. Je veux savoir... Je savoir à combien de siècles il en est, lui le Nephilim de mon cauchemar. Je ne cherche pas à me souvenir... j'ai noté des lignes à son sujet sur mon carnet, je n'ai pas besoin de m'encombrer de chose macabre. Pas ce soir. « Justement, vu ton âge avancé, je fais attention à ta santé. Tu me remercieras plus tard. » Que je plaisante en fronçant doucement le bout de mon nez, le cou tendu dans sa direction.

Il relâche ma main. J'en referme mes doigts sur du vide. Il me manque déjà. Je reste attentive à ses moindres gestes et remarque enfin qu'il a fait un effort vestimentaire. Une chemise... mais pas de cravate ! De quoi me renfrogner un peu. J'aime lorsqu'il porte la cravate. Il a de suite un air sérieux. Mais le côté décontracté d'une chemise ouverte n'est pas désagréable. La sienne est bien trop sévère à mes yeux. Attachée jusqu'au cou, pour seule ouverture, un bouton. Je garde ce détail pour plus tard, là, dans un coin de mon crâne. Pour le moment, je le regarde ouvrir la bouteille de champagne sans galérer. J'aurai dû lui filer le tire-bouchon pour la bouteille de vin. Cette petite peste m'a donné quelques sueurs. J'approche ma coupe vers lui pour qu'il la remplisse du liquide aux fines bulles. Le vendeur m'a certifié qu'il était très agréable en bouche. Il a plutôt intérêt de ne pas m'avoir menti s'il ne veut pas que je lui rende visite... J'offre un sourire chaleureux à mon père. Cette place de paternel me gêne de plus en plus, quelque chose me dérange. Une étrange sensation. Nous n'avons pas le même sang c'est un fait -pourquoi j'en suis soulagée ?, mais il s'agit d'un sentiment que je n'arrive pas à définir. Je l'aime, aucune incertitude là dessus, pourtant ça cloche quelque part. Je fronce un peu les sourcils, préférant ne pas me pencher sur la question. Et je lève mon verre dans sa direction, les yeux dans les clairs.

« À mes 294 ans. » Qu'il balance dans une banalité qui me laisse coi. Pardon ?! 294 quoi ?? Années ?? La mâchoire m'en tombe. Je me sens pâlir. Je le sais, pas besoin de me regarder dans un miroir. C'est comme se prendre une claque en plein visage. Ça pique. Ça fait mal... puis ça passe. Difficilement pour le coup, car je suis encore sonnée par le chiffre à trois nombres... Aussi vieux... Et moi aussi... éphémère. J'ai le cœur qui me joue un mauvais tour en se compressant douloureusement. Je ne cesse de le regarder sans avoir sorti quoique ce soit. Parce que c'est déplacé ? J'en sais rien. J'ai juste envie de ne plus y penser. Je le fuis un instant, ne voulant pas paraître trop grossière à le dévisager comme s'il s'agissait d'un fossile. Il a l'âge qu'il doit avoir, en bon Nephilim qu'il est. « Et à toutes les années que je souhaite encore passer à tes côtés, quoi qu’il advienne … Je t'aime Helle. » Je crois qu'il va me falloir plus d'un verre pour assimiler tout 'ça'. Les mots me percutent et m'ouvrent une réalité que je refuse d'admettre. Je vais vieillir... et lui ? Lui sera toujours le même. Cruel. Je déglutie. Mon sourire est mort depuis quelques secondes déjà. J'essaie de ne pas paraître triste. Il ne faut pas. C'est son anniversaire et je me dois d'être joyeuse. Je me racle la gorge pour essayer d'enlever ce nœud qui ressert mes cordes vocales. « Je t'aime Pappa » La voix fébrile et tintée de sincérité. Oui je t'aime. Bien plus que tu ne peux l'imaginer.

Nos verres s'entrechoquent doucement. Et je me l'enfile d'une traite.

J'ai compris qu'il me faut une multitude de bulles pour noyer toutes ces questions qui se bousculent dans ma tête. Je balance ma tête en arrière pour terminer ma coupe et la ramène en avant, déposant la flûte sur la table. J'ose un regard vers lui... Mon fessier quitte un instant l'assise tout en tendant mon bras, saisissant la bouteille dans la foulée. Je rempli encore son verre et fais de même avec le mien. J'ai pas envie de parler pour le moment, je crois qu'il me faut encore quelques minutes pour rebondir. La bouteille dans ma main, je lève le coude pour me siffler une autre longue lampé de champagne. Bordel... ce truc n'est pas dégueulasse. J'en ressens aucun effet. -Pour le moment. Je tiens bien généralement l'alcool. Pas de quoi s'en vanter. Je sens les bulles qui me réchauffent le corps, serpentant dangereusement mes veines. Je reprend mon sourire plein de douceur tout en portant le dos de ma main armée de la coupe contre la bouche. L’œil est pétillant. « T'es trop sérieux. » La bouteille est de nouveau sollicitée. Je rempli une nouvelle fois ma flûte et repose le tout sur la table. « Attends.. ne bouge pas. » Je glisse un peu mon fessier de la chaise pour me rapprocher de lui. Les bras tendus en direction de son cou. Mon regard chute sur ses boutons qui me dérangent depuis le début. Je crois que j'ai besoin de penser à autre chose. « Juste.. l'ouvrir de quelques boutons... voilà.. comme ça... » Que je m'applique en glissant mes doigts sur le col de sa chemise pour l'ouvrir d'un bon tiers. J'évite volontairement de croiser ses billes claires, je me perds un instant sur la naissance de son cou. J'ai la respiration lourde... C'est gênant. Merde ! Je râcle mon larynx d'embarras. Et j'ouvre rapidement ma bouche sèche. « C'est mieux. » Je relève enfin mon regard limpide dans sa direction, satisfaite. Le sourire honteux. J'essaie de me reprendre, l'air de rien. Mais dans ma tête, c'est le bordel.

« Je voyais une cravate mais finalement, sans, ça le fait grave ! » Je glousse un peu (glousser, moi??) tout en ramenant bien sagement mes mains contre mes cuisses. Je reste muette juste une seconde avant de m'animer, comme piquée par une abeille, je saute de ma chaise. « J'allais oublier ! J'ai tes cadeaux ! » Je m'empresse d'aller vers le canapé, plus précisément derrière, pour prendre tous mes paquets. Je reviens, les bras chargés. Le claquement des talons sur le parquet montre que je suis pressée. Et c'est le cas. J'ai hâte qu'il les découvre. J'essaie de ne pas tout faire tomber sur lui... ça serait le comble du ridicule. J'ai les joues qui chauffent. Je dépose une belle plante, oiseau de paradis de son nom et trois autres paquets sur la table en essayant de ne pas faire renverser quoique ce soit. Puis pose deux sacs cadeaux à ses pieds. J'en profite pour me pencher dans sa direction et déposer une bise sur l'arête de sa mâchoire. Une main sur sa joue opposée à mes lèvres où quelques doigts se perdent dans une caresse pleine de douceur. (Mon cœur fait un salto) « Joyeux anniversaire.. » Que je murmure contre sa peau. Et je m'éloigne. Je sens une petite pointe de stress gratter ma bonne humeur. Je recommence à douter de moi. Je frotte nerveusement mes paumes l'une contre l'autre tout en reculant doucement. La boule au ventre. Le regard glissant sur sa silhouette. Angoissée. « Ouvre vite ! » Oui je le presse, histoire de mettre un terme à cette nausée... J'attrape mon verre pour le coup, de quoi apaiser un peu mes doutes -mais pas que, avec quelques bulles d'un champagne à la robe jaunâtre.

Dans l'un des cadeaux posés sur la table, il y trouvera un vinyle de Mr Airplane Man. Dans un second plus petit s'y cache un joli stylo argenté gravé de ses initiales. Dans le dernier en forme de bonbon, se trouve un parapluie d'un noir corbeau, très masculin. Dans les sacs, un parfum Terre d'Hermès (la puissance raffinée d'après la vendeuse) et le dernier abrite une chemise d'un bleu nuit d' Armani.
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S'élever. Recoudre l'air. Aimer.

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