La soirée de Sariel était il y a quatre ans, mais à part ça, ce qu’elle raconte tient la route. C’est vrai qu’avant personne ne les connaissait. Du coup, forcément, ils n’avaient pas besoin d’entrer le nom de leurs partenaires - non, je n’ai pas envie de dire le mot esclave, partenaire c’est bien nah. D’ailleurs, je vais me l’interdire ce mot, jusqu’à ce que j’arrive à ne plus l’entendre entre les lèvres des Nephilim autour de moi.
J’évite de lui dire que je n’ai jamais été partagé. Elle a peut-être raison de croire que ce n’est pas habituel. Je n’ai pas envie qu’elle cherche à comprendre pourquoi. Quant à moi, une étincelle brille dans mes yeux. C’est pour cela que MatVei ne pouvait pas rester avec moi ? je n’ai pas joué le jeu. Je n’ai pas voulu de partie à trois, d'orgie ou plus encore. Le partager était impensable. C’était bien trop me demander. Il ne m’a forcé à rien, mais si j’avais voulu le garder, c’est ce que j’aurai dû faire. Je n’étais tout simplement pas prête pour ça. M’en voudra-t-il éternellement ?
Je suis encore en pleine forme alors, on va évité de leur rappeler leurs traditions, tu veux bien ?
Je me radouci doucement. Elle n’a pas l’air si méchante après tout. Pourtant, je ne suis pas idiote, je ne vais pas lui faire confiance. Je ne vais certainement pas lui dire que cela fait trois ans que je ne suis plus avec MatVei. Je ne mens pas, j’oublie de répondre. Sans doute qu’Harahel n’aimerait pas ce genre de comportement.
On finira bien par l’apprendre l’une ou l’autre.
Je souris quand elle demande du champagne. C’est effrayant, on a les mêmes goûts. Elle est la première Nephilim qui a l’air de s’amuser de mes interrogatoires, ce qui me laisse perplexe. Elle fait peut-être de l’ironie. Je n’arrive pas à la cerner, mais je l’écoute attentivement. C’est une sans-clan - je grimace-, ce qui me permet de continuer à croire qu’elle va devenir Infiltrée. Par contre, elle parle de Meborack, la Kabbale et tout le toutim. Je n’en ai pas un merveilleux souvenir. Enfin de Zakaï, je ne connais pas Meborack, mais ça ne doit pas voler plus haut. Elle me raconte qu’elle a même réussie à se trouver un mari. J’écarquille les yeux. Mais comment elle a fait ? Hum oui non - grimace à nouveau - ok, c’est son père qui l’a vendu. Soudain, j’ai de la pitié pour elle et du dégoût pour ce Prince Pourpre. Il l'enlève nourrisson à sa famille, et il en a fait sa femme. C’est très… dérangeant. Il ne manquerait plus qu’elle dise que c’est lui qui l’a élevé. Je lui fais non, quand elle me demande si je connais sa boutique. Pourtant, j’en connais, mais pas la sienne.
Feu d’artifice éternel ? Mouai, je ne suis pas convaincue. Si on l’était, ça réglerait beaucoup de problèmes.
Bon, je ne sais pas comment dire ça, même si elle n’est pas malpolie, mais surtout maladroite, j’ai toujours l’impression d’être un chiot en vitrine de magasin. Après, j’imagine que de passer quatre cents ans avec une créature, sans jamais ne rien voir d’autre - pas d’humains en tout cas - ça vous isole et vous grille quelques cases.
C’est à moi de parler maintenant.
Hum… Je n'ai jamais dit que ça allait être profond.
J’attrape ma coupe de champagne… non, carrément la bouteille en fait, et je fais les cent pas dans la cuisine tout en lui parlant. Ma cuisine est grande et luxueuse, j’ai de l’espace.
Je m’appelle Dawn Ludlow, mais ça tu le savais déjà. Petit clin d’oeil et petite gorgée au goulot. Je suis de race humaine, de sexe féminin, à la peau clair, aux cheveux blonds et aux yeux bleus. Je la montre du doigt. Mais ça, tu le savais aussi. Yeah ! Elle est trop forte non ? Aller, je continue. Je suis née dans cette merveilleuse ville qu’est Las Vegas, il y a vingt-six ans. J’ai un papa humain, une maman humaine et deux frères jumeaux beaucoup plus vieux que moi. Des tatas, des tontons, des cousins à foison… de la famille quoi. C’est qu’on se reproduit vite entre bestioles. Un petit tacle ? Rho, ce n’est pas mon genre. Je continue donc mes cent pas et ma biographie. J’ai rencontré les Nephilim sur mon lieu de travail. J’étais chauffeur de limousine dans une société tenue par des Templiers. Je m’arrête et je la regarde. Tu sais ce que c’est un Templier ? Non parce que j’arrive à en douter. Si elle ne sait pas, je lui explique. C’est comme ça que j’ai dû attirer leur attention. J’ai rencontré MatVei, un Nephilim horripilant, odieux, insupportable, mais incroyablement sexy. Je lève les épaules. Je ne suis qu’humaine. Je soupire. Je ne vais certainement pas lui dire qu'il est l'amour de ma vie. Que je n'ai jamais été aussi vivante qu'avec lui. Je ne lui ferai pas cet honneur. je ne la connais pas cette fille.
Je suis partie trois ans en mission un peu partout dans le monde. Je voudrais bien t’en parler, mais après je devrais te faire tuer.
Rho, ce que je suis drôle ce soir. C’est bon le champagne. Je lui donne une deuxième bouteille. Je ne fais pas ma radine. Par contre elle se l’ouvre comme une grande. Je fini par poser mon séant et soupire. Mes envies. Elle me demande mes envies, pas vraiment mes rêves, alors je ne sais pas.
J’ai envie de partir à nouveau. Faire le tour du monde. Quitter tout ça.
J’ai le sentiment que je n’ai jamais été aussi heureuse que ces trois dernières années.
Je veux être libre. Certainement pas me retrouver au service d’un Nephilim, aussi sympa puisse-t-il être.
Je lui souris. Je ne serai pas à ses services. Elle se trompe si elle croit pouvoir me forcer.
Mes peurs ?
Je me frotte l’oeil, puis le visage.
Qu’on m’oublie. De n’être importante pour personne. J’ai peur de mourir un jour et que personne ne s’en rende compte. J’ai peur que ma vie soit vide de sens. Mon regard dans le vide, je m’arrête… pas trop longtemps quand même. Je n’ai jamais rien réalisé d’important. À quoi je sers ? J’aurai voulu donner la vie. Je souris et j’ai le regard qui pétille, mais j’ai quand même la gorge qui se serre. Ce sera mon plus grand regret. Aimer un petit être de tout mon être. Lui créer un monde magique empli d’amour et de douceur. Mais vous êtes là. Mon regard se fait noir. Je penche la tête sur le côté pour l’observer. Vous êtes possessifs, égoïstes, agressifs, pervers, égocentriques, méprisants, manipulateurs, orgueilleux et racistes. Je ne pense pas que tu sois différente des autres. Tu aurais pu très bien essayé de devenir mon amie, plutôt que d’entrer chez moi sans être invitée, me mettre mal à l’aise en ne respectant pas mon intimité, insisté sur le fait que je t’appartiens et que de toute façon, je n’ai pas le choix. Je m’en fiche de vos règles et de vos lois. Je ne t’appartiendrai jamais, ni à toi, ni à aucun autre Nephilim, Elohim, Templiers, humains ou je ne sais quoi encore qu’il y a par chez toi. Je suis libre. Celle qui est prisonnière, c’est toi. Tu es encore dans tes coutumes de l’âge de pierre. Vous êtes beaux, forts, immortels, mais aucun de vous n’a évolué. Tu avais juste à essayer de me connaitre avant de m’imposer tes désirs. Mais non, vous ne savez pas faire.
Je ne veux plus qu’aucun Nephilim ne me touche, ou pense pouvoir le faire sans mon autorisation.
Il est temps de les remettre à leur place et de prendre ma vie en main.
Ce n'est pas contre toi personnellement, c'est juste que je n'en peux plus. Si tu as envie d'aller boire un verre, faire les boutiques, un resto... tu fais comme toute personne civilisée, tu appelles sur mon téléphone, tu me demandes mon avis et si je peux, je viendrai. Mais là, maintenant, j'ai envie que tu sortes de chez moi, pour que je puisse aller me sécher les cheveux et m'écrouler dans mon lit devant un vieux film ringard. Je soupire. S'il te plait.
Comme on dit, ça passe ou ça casse. Je vais me faire déboîter. En tout cas, malgré la confiance que je semble ressentir, je ne suis pas rassurée du tout.